Steinlen 1897 |
« Un spectre hante
l'Europe : le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe
se sont unies en une Sainte- Alliance pour traquer ce spectre : le pape et le tsar, Metternich et Guizot, les radicaux de France et les
policiers d'Allemagne. Quelle est
l'opposition qui n'a pas été accusée de communisme par ses adversaires au
pouvoir ? Quelle est l'opposition qui, à son tour, n'a pas renvoyé à ses
adversaires de droite ou de gauche l'épithète infamante de communiste ? Il en résulte un double enseignement. Déjà le communisme est reconnu comme une
puissance par toutes les puissances d'Europe.
Il est grand temps que les communistes exposent à la face du monde
entier, leurs conceptions, leurs buts et leurs tendances; qu'ils opposent au
conte du spectre communiste un manifeste du Parti lui-même. C'est à cette fin que des communistes de
diverses nationalités se sont réunis à Londres et ont rédigé le Manifeste
suivant, qui est publié en anglais, français, allemand, italien, flamand et danois. »
Préambule du Manifeste du Parti communiste Février 1848 – Imprimé à Londres (Rédacteur K.
Marx – Co-auteur F. Engels)
« Après quelques semaines, le Manifeste du Parti communiste rédigé par
Engels et moi-même fut adopté » (Rubel, op.cit., p. 1413)
Qui sont les personnages
historiques évoqués dans ce préambule ?
Le pape ? Il s’agit de Pie IX, lequel avait été élu, en 1846, avec
une réputation de libéral. Le déclenchement, en 1848, des évènements
révolutionnaires en Italie et en Europe va toutefois provoquer chez lui un
revirement complet. Son pontificat sera l’un des plus réactionnaires sur le
plan doctrinal : proclamation du dogme de l’immaculée conception, rejet du
libéralisme, hostilité à l’égard du mouvement ouvrier et du communisme,
condamnation du rationalisme et de la liberté d’opinion, anathème sur les
travaux de Darwin, justification de l’esclavage, affirmation de
l’infaillibilité pontificale, politique antisémite sur le territoire des États
pontificaux.
Le tsar ? Il s’agit de Nicolas 1 répression tout au début de son
règne, en décembre 1825, de l’insurrection décembriste, puis la ré- pression
des deux insurrections polonaises de novembre 1830 à Varsovie et de février
1846 à Cracovie. Le régime tsariste représentera pour Marx tout au long de sa
vie le parangon de l’absolutisme.
Metternich est chancelier d’Autriche depuis 1809. Il sera le
protagoniste central des politiques menées par les puissances royalistes pour
combattre les effets de la révolution française de 1789 et les contenir dans le
cadre d’un équilibre européen centré sur les intérêts de l’empire d’Autriche.
Il est, en 1815, le principal inspirateur de la Sainte Alliance issue du
Congrès de Vienne, devenant ainsi « le gendarme de l’Europe » au service de
politiques absolutistes soumises aux intérêts des forces de l’ancien
régime.
François Guizot a été de 1840 à 1848 le véritable chef du gouvernement
de Louis–Philippe. Ce conservateur libéral était particulièrement conscient de
la lutte de classes où se trouvait engagée la bourgeoise dont il défendait les
intérêts. La monarchie parlementaire offrait à ses yeux les meilleures
garanties d’une hégémonie capable de résister aux revendications démocratiques
du monde ouvrier. Sa résistance à tout abaissement du cens électoral provoquera
sa chute en février 1848.
Les radicaux de France visent l’opposition parlementaire
républicaine à la monarchie de Juillet. Représentée par Etienne Garnier-Pagès
et par Armand Carrel « sur sa droite », par Alexandre Ledru-Rollin et par
François Arago « sur sa gauche », cette classe politique n’était guère éloignée
de la fraction de la bourgeoisie orléaniste favorable aux réformes, avec
laquelle du reste elle collaborait depuis juillet 1847 dans la campagne des banquets.
Ainsi dans un discours prononcé le 23 novembre 1841 devant le jury de Maine et
Loire « en défense aux imputations portées devant ce jury contre l’orateur à
l’occasion de sa profession de foi », Ledru-Rollin n’avait pas hésité à
déclarer : « Je le proclame bien haut, j’aime la propriété qui est le fondement
de toute moralité ; je ne me sens pas communiste ; je hais les communistes, je
les hais plus que vous-mêmes ne les haïssez, car on nous jette trop souvent à
la face leurs absurdes opinions. Je veux que l’ouvrier devienne propriétaire,
non par le vol, mais par les voies légales et je dis que quand il sera
propriétaire, il sera plus tranquille et plus moral ».
Les policiers d’Allemagne ? Une manière de dénoncer l’appareil
répressif mis en place après 1815 dans la Confédération germanique. Après et
avec tant d’autres intellectuels, Marx en était une victime directe, expulsé de
Paris vers Bruxelles en 1845 à la demande du pouvoir prussien et désormais
apatride.
Source : Le Cercle d’Étude des Marxismes
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