Fille du Peuple...

" Les hommes font l'histoire, mais ne savent pas l'histoire qu'ils font. " Karl Marx

dimanche 26 mars 2017

"Misère" par Henry Poulaille

Steinlen 1897



Cet après-midi-là, pas besoin de confier la bonne nouvelle à quelqu’un, Mme Dumont était allée chercher son fils à l’école. Quand elle arriva, c’était le plein de la sortie. Une foule bruyante emplissait la petite rue où trois écoles se vidaient. Il y avait des rires, des appels, des cris. Mme Dumont hésitait au milieu de ce vacarme. Des gars cavalcadaient, brutaux ; des filles, plus calmes, se tenaient par le cou, et, en cheminant, se faisaient des confidences. Aux angles de la rue, des parties de billes s’organisaient où l’on discutait fort. Mme Dumont regardait à droite et à gauche, pour reconnaître son mioche, qui tardait. Était-il en retenue ? Il avait passé, peut-être, sans qu’elle l’eût vu. Cela était très possible, car à cette heure, ils étaient bien deux milliers ces écoliers qu’on libérait.

Parmi les derniers, l’enfant descendait les trois marches de pierre, discutant avec d’autres élèves. Ils ne s’étaient aperçus ni l’un ni l’autre. Mais un des camarades de Dumont ayant reconnu la maman, prévint : « Gégène…il y a ta mère qui t’attend. ». Gégène répondait, d’abord incrédule : « Tu blagues ! ». Mais il fit quand même demi-tour pour s’assurer si le copain avait dit vrai.

- « Ah ! Môman ! » cria-t-il laissant ses amis, sans même leur dire « au revoir ».

- « Qu’est-ce qu’il y a ? » s’inquiétait-il.

Elle se pencha et l’embrassa.

- « Rien…je venais à ta rencontre. »

Il lui donna la main. Au bout de quelques pas, elle lui confia :

- « J’ai enfin trouvé un logement ! »

- « Ah !.... »

- « Oh, un p’tit logement mais on sera bien. »

- « Bah ! » dit-il simplement en remontant d’un coup de rien sa gibecière qui le tirait en arrière.

…Il n’est si beau songe, hélas ! Dont on ne se réveille. Cela ne pouvait durer éternellement : les deux semaines furent vite écoulées. L’enfant allait connaître mieux ce dont il avait tant parlé. Mme Dumont avait garni le nouveau logis avec des meubles achetés, la plupart chez des brocanteurs, et le reste pièce par pièce dans les magasins.

Que serait-il en définitive ce logement ? Le gosse n’avait aucune crainte.

« Maman sera là à quatre heures », énonçait-il avec importance. De fait, le soir, Mme Dumont était présente lorsque les écoliers sortirent. Eugène Dumont, pour une fois, était l'un des premiers. Il gambadait et sifflotait joyeux.

- « On y va maman » dit-il.

Au lieu de descendre la rue Saint Charles, comme à l’ordinaire, cette fois-là, ils la remontèrent.

L’enfant marchait posément, sa gibecière, mieux équilibrée sans doute, ne semblait point lui peser.

Ils ne parlèrent que très peu le long du trajet. Leur nouveau domicile était un peu plus éloigné que l’autre de l’école. C’était tout au haut de la rue. On apercevait les fortifications.

« On approche ! » se disait-il : il essayait de deviner. Était-ce dans une de ces belles maisons neuves, tout au bout de la rue ? Oui, sans doute. Il s’en persuada.

« Ce ne pouvait être que là ! ». Aussi fut-il un peu refroidi dans son enthousiasme, lorsque sa mère s’arrêta devant un immeuble d’aspect minable.

- « Nous y sommes ! » dit-elle.

Le gosse ne répliqua point, mais constata à part lui : « C’est moche ! »

- « Qu’est-ce que tu as mon chéri ? »

- « Rien. » répondit-il.

C’était ça…le logement ! Du papier sale tapissait la pièce. Des meubles de bois blanc garnissaient…et il n’y avait qu’une chambre.

Une table rectangulaire toute simple occupait le milieu. La présence d’une lampe à pétrole avec son abat-jour lui fit regarder le plafond. Il alla ensuite à la cuisine, un tout-petit réduit où il chercha en vain son réchaud à gaz. Il ne vit qu’un petit poêle-cœur où chauffait le contenu d’une marmite.

Il était anéanti. Sa mère trouvait qu’on serait bien…Elle n’est pas difficile, constatait-il. Il ne comprenait pas et retint à temps une envie de pleurer toute proche. Pour la première fois, il sentait la misère.

Le logis des camarades pauvres offrait de la ressemblance avec celui-ci. Les meubles aussi étaient à peu près identiques. Il eut envie de demander à sa mère pourquoi ils avaient quitté l’hôtel, et faillit même poser une question qui eut été pénible pour la maman : « Alors nous sommes des pauvres ? »

Il eut l’intuition que c’était une demande à ne point faire et il la garda pour lui.

Douloureusement impressionné, il comprenait d’une manière confuse qu’ils étaient eux aussi « des pauvres ». Tout ce qui l’entourait le lui indiquait. Il comparait cet intérieur morne avec celui plus gai de l’hôtel qu’ils avaient quitté. À l’hôtel on avait le gaz, l’électricité. On tournait un bouton et « tac », on voyait clair tout de suite. Le papier des murs, là-bas, était joli. Il se rappelait les milles fleurs qui paraissaient vivre quand le soleil pénétrait par les interstices des persiennes. Que de choses encore décoraient la jolie chambre. Des tableaux, des statuettes, une armoire à glace. Ici, rien de cela…pas de table de toilette…rien…

Et il regrettait soudain jusqu’à la bonne de l’hôtel, Marie, une petite Auvergnate, toute jeune, qui l’embrassait chaque fois qu’elle le voyait.

Son cœur était gros de tristesse. À l’heure du dîner, il n’eut pas faim.

En vain, sa mère l’exhortait-elle :

- « J’ai mal à la tête » dit-il

- « Tu veux te coucher ? »

Il fit un signe affirmatif.

Mme Dupont retapa le lit prestement. L’enfant s’y glissa. Oh ! Que les draps lui parurent froids…le sommier dru. Il tenta quand même de ne plus remâcher sa tristesse, et comme si cela eût pu l’atténuer, il releva les couvertures sur lui. La maman s’en fut à la cuisine lui faire de la tisane. Tandis qu’elle la préparait, Gégène, se sentant à l’abri, se laissa aller à pleurer. Avec son mouchoir, il s’essuyait les yeux au fur et à mesure que ses larmes ruisselaient…Oh, quelle détresse…fini le rêve des lapins blancs. Fini. L’âme toute désemparée, le gosse pleurait sur la misère qu’il venait d’entrevoir, la terrible misère de se sentir pauvre.

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